Blog Anima Mercurii, l’âme de mercure qui encre les arcanes passés

Anima Mercurii, l’âme de mercure qui encre les arcanes passés

Laurent
Rencontre avec Laurane, artiste graveuse qui nous partage aujourd'hui son univers, son processus de création ainsi que les diverses influences qui rythment sa pratique artistique…

Peux-tu te présenter et nous expliquer ton parcours ?

Mon nom d’artiste est Anima Mercurii (L’âme de Mercure en latin). Je suis originaire de Nantes et j’ai 26 ans. Artiste graveuse autodidacte à plein temps depuis 2022, j’ai commencé la gravure en 2021, lorsque je rédigeais mon deuxième mémoire portant sur l’alchimie et la minéralogie au XVIe siècle. Après ces études universitaires, j’ai ressenti le besoin de retourner à des activités plus concrètes, en lien avec la matière. C’est en analysant des gravures issues d’ouvrages que j’étudiais, que j’ai eu l’envie de reproduire les gestes des artistes et artisans graveurs du XVIe siècle. La gravure sur bois étant moins accessible au XXIe siècle (notamment en raison du coût du matériel), j’ai commencé avec la linogravure, technique similaire, qui s’est principalement développée au début du XXe siècle.

Peux-tu expliquer les fondamentaux de la linogravure ? Comment passe-t-on de la taille au support imprimé ?

La linogravure est une technique à la fois récente et ancienne. Récente, car le matériel (le linoléum) a été mis au point au cours du XIXe siècle, et ancienne car la technique est similaire à la gravure sur bois, qui s’est développée au XIVe siècle en Occident. Nous appelons cette technique la taille d’épargne. Après avoir dessiné sur la plaque on creuse tout autour des traits avec des gouges. L’objectif est donc « d’épargner » tout ce qui sera finalement encré. Après avoir creusé autour du dessin, j’appose une encre spéciale sur la plaque et place le papier par-dessus. J’exerce une forte pression sur cette feuille avec un baren (outil permettant d’appliquer une pression uniforme sur l’ensemble de la gravure), et décolle la feuille. Le motif peut enfin se dévoiler. J’aime bien comparer cette technique à celle du tampon que l’on presse sur une feuille.

Fête de village, linogravure, 2023
— Fête de village, 2023

Où trouves-tu l’inspiration ? As-tu des références ou des périodes artistiques favorites qui nourrissent ton univers et ta pratique ?

À l’origine, ma démarche était de réaliser des reproductions de gravures que j’avais rencontrées lors de mes recherches, et plus particulièrement des gravures d’artistes peu connus du grand public tels que Jost Amman ou Altdorfer. Pour ce qui est de l’Art, la Renaissance est toujours ma période de prédilection, mais je m’ouvre progressivement à d’autres périodes et styles, comme le mouvement préraphaélite ou Karl Alexander Wilke, H. J. Ford et John Bauer.

Je ne suis pas de ceux qui trouvent que l’art actuel est forcément laid. Je peux notamment citer l’exceptionnel travail de l’illustrateur David Thiérrée ou celui du calligraphe Charles Boisart. Mon travail est une célébration de la culture et des traditions occidentales, allant des fêtes paysannes aux cathédrales, en passant par l’alchimie et le bestiaire médiéval.

Il y a des références évidentes à l’univers (black) metal, des relations avec celui du fanzine, ou encore de l’ésotérisme dans l’esthétique que tu convoques. Peux-tu nous en dire davantage à ce propos ?

En effet, j’évolue dans le milieu du black metal depuis une dizaine d’années. Cet univers fait partie intégrante de mon identité musicale (même si j’écoute de moins en moins de black metal au profit de la neofolk et du dungeon synth), ce qui explique en partie pourquoi mon travail est inspiré par cet univers.

Gravure réalisée à l'occasion du Winter Rising Fest (festival metal), 2023
— Gravure réalisée à l'occasion du Winter Rising Fest (festival metal), 2023

L’ésotérisme, et plus spécifiquement l’alchimie, est également une grande source d’inspiration pour moi. Je cherche à rendre hommage à la tradition européenne. Sa richesse et sa complexité — y compris l’essence que l’on a perdue au fil des siècles — sont une source intarissable d’inspiration pour moi. Je veille donc à ce que la composition de chaque gravure ait une logique et une grille de lecture symbolique. Les ouvrages de Louis Charbonneau-Lassay et de Dom Pernety m’ont été d’un grand secours pour saisir ce langage hermétique. À titre d’exemple, j’insère dans ma représentation de Prométhée la constellation du Taureau, symbole de Zeus. Ainsi, le mythe est reproduit : le titan Prométhée vole le feu de la Connaissance sous l’œil du roi des dieux.

Peux-tu nous expliquer ton processus de création ?

Lorsque je me mets à dessiner, je m’immerge dans l’univers que je souhaite retranscrire, notamment en écoutant de la musique ou des podcasts en lien avec le thème que je souhaite explorer. Je m’inspire également de références artistiques pour évoquer l’époque ou l’univers que je souhaite représenter. Le processus de construction et de composition de l’œuvre est assez long et demande beaucoup de réflexion, tandis que l’action de graver a un aspect plus méditatif. Néanmoins, cette partie est tout aussi exigeante car chaque geste doit être mesuré : il ne faut pas enlever trop de matière ou arracher par inadvertance du lino, car cela n’est pas rattrapable… C’est donc un travail minutieux.

— Gandalf arrivant à Minas Tirith, Format A3

Quel est l’aspect de ton travail le plus difficile à maîtriser selon toi ?

Je trouve que le travail d’impression est le plus difficile : après avoir encré la plaque, il est nécessaire de poser mon papier minutieusement sur celle-ci. Si je tremble ou décale le papier par rapport à la matrice, je considère que c’est un échec. De plus, comme j’imprime à la main et que mon papier est artisanal, chaque impression est différente. Il peut donc y avoir des surprises ! Par exemple, pour le « Prométhée », je souhaitais que le ciel soit particulièrement uniforme. Finalement, en découvrant mes premiers tirages, une sorte de voûte céleste s’est dévoilée !

— “Jeanne d'Arc” et “Promethée”, Linogravure et rajout de gouache par enluminure au pochoir, Format A4

Comment ta pratique a-t-elle évolué au fil du temps ?

Mon style a beaucoup évolué, en fonction de mes découvertes artistiques et de mes rencontres. Je considère que je ne suis qu’au début de mon parcours artistique. J’aimerais tendre vers un trait plus assuré et une ligne plus claire, à la manière de Karl Alexander Wilke. Je me suis rendu compte que mon style a évolué assez rapidement lorsque je me suis procuré une tablette graphique. Néanmoins, j’ai tout de même une préférence pour le travail traditionnel, même si cette technologie permet d’être bien plus rapide !

Tu es très active sur les réseaux sociaux où tu partages tes œuvres ainsi que ton processus de création. Quel regard portes-tu sur la relation que tu entretiens avec ton public ?

En effet, il est nécessaire pour un artiste contemporain de développer son activité sur les réseaux sociaux. Cependant, c’est un véritable travail (et encore, je ne suis pas aussi active qu’il le faudrait). Je suis reconnaissante envers mon public, qui suit mon travail assidûment. Chaque message ou signe de soutien me touche particulièrement. C’est également grâce aux réseaux sociaux que j’ai pu contacter et être contactée par certains labels ou groupes de musique. C’est encore plus gratifiant lorsque je vois toutes ces commandes ou collaborations prendre forme !

Tatouage du monogramme de J.R.R. Tolkien, juin 2023
— Tatouage du monogramme de J.R.R. Tolkien, juin 2023

Tu t'es récemment lancée dans le tatouage, peux-tu nous en dire un peu plus ?

J’ai débuté un apprentissage pour maîtriser l’art du tatouage en 2023. Ce médium représente pour moi une extension naturelle de ma pratique artistique : en tant que créatrice, je travaille principalement en solitaire. Le tatouage, en revanche, est un échange et un acte social. J’apprécie particulièrement accompagner et conseiller la personne que je tatoue. En développant mon activité de tatoueuse, je vise également un autre public qui ne serait pas forcément intéressé par l’achat d’une gravure mais préférerait arborer un tatouage dans mon style.

— Blasons de villes et réinterpretation du “Sept de coupe” (Tarot), 2024

Tu cultives un univers très européen. Qu'est-ce qui alimente cet appétit ?

Mon art est essentiellement axé sur l’histoire et la culture européenne. J’ai grandi à Nantes, une ville dont l’identité bretonne est à mes yeux forcée au regard de la faiblesse de cet héritage (au sein de son patrimoine bâti par exemple) et qui s’obstine à continuellement mettre en avant son lien avec la traite négrière… Tout cela m’a toujours fait ressentir un certain rejet pour ma ville natale. Ce n’est que lorsque je me suis installée dans l’est de la France, puis en Autriche, que j’ai pleinement réalisé que l’Europe possède une identité qu’il faut apprécier et nourrir.

Qu’est-ce qu’un « beau regard » selon toi ?

Pour moi, un beau regard se caractérise par son intensité. Il doit avoir quelque chose à exprimer, raconter une histoire. Un beau regard est celui qui nous fait ressentir quelque chose de profond, qui nous connecte à une autre âme. C’est un regard qui laisse une empreinte éternelle dans l’âme et qu’on n’oublie pas.

Chouette issue du Icones Animalium (1553).
— Dessin de chouette inspiré par “L'Icones Animalium” (1553)

Quels sont tes projets actuels et à venir ?

En ce moment, j’ai pour projet de réaliser des séries thématiques. Je me rends compte que je crée des estampes sur des sujets et thèmes qui me plaisent sur le moment, sans nécessairement les ordonner de manière logique. J’aimerais donc proposer des séries de gravures, abordant le mythe arthurien et la mythologie européenne, gréco-romaine et scandinave. De plus, je prévois également des séries plus pastorales et folkloriques, avec des paysages propices à la rêverie.

Où peut-on retrouver ton travail et comment peut-on te soutenir ?

Vous pouvez retrouver mon travail sur Instagram — @anima.mercurii, où je suis la plus active. J’ai également une boutique en ligne où je propose mes créations — animamercurii.bigcartel.com. Pour me contacter directement, vous pouvez utiliser mon adresse e-mail — animamercurii.print@gmail.com. Enfin, j’ai mis en place une plateforme de dons en ligne pour soutenir mon travail (don ponctuel ou abonnement) — ko-fi.com/animamercurii

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